Robert Kubica, de frôler la mort à toucher la victoire aux 24 Heures du Mans

Vainqueur des 24 Heures du Mans 2025 au volant de la Ferrari #83, sa vie a été chamboulée il y a maintenant 14 ans suite à un accident de rallye. Portrait de Robert Kubica, véritable miraculé du sport automobile.

Robert Kubica, pilote automobile polonais de 40 ans, est une légende du sport dans son pays. Il est le seul représentant de la Pologne à avoir remporté un Grand Prix de Formule 1 et, depuis ce dimanche 15 juin 2025, le seul Polonais à avoir triomphé aux 24 Heures du Mans.

Un exploit qui le propulse comme une icône nationale. Mais ce n’est pas seulement son palmarès qui a construit sa renommée. Victime d’un effroyable accident de rallye en 2011, il est aussi un exemple de résilience et de courage dans la vie de tous les jours. D’étoile montante de la monoplace à miraculé en rallye, jusqu’à devenir vainqueur aux 24 Heures du Mans, retour sur la carrière et la vie de Robert Kubica.

L’un des pilotes les plus prometteurs de sa génération

Le jeune Robert Kubica, qui commence le karting à l’âge de 10 ans, devient très rapidement un prodige de la discipline. Il remporte la plupart des catégories qu’il dispute et débute en monoplace en 2001. Mais le Polonais est victime de son sort dès 2003. Alors qu’il est passager d’une voiture, il est victime d’un grave accident de la route. Cet accident lui fait manquer les premières courses de F3 Euro Series.

L’année suivante, il se fait remarquer lors du mythique Grand Prix de Macao de Formule 3 en dominant son coéquipier, un certain Lewis Hamilton, son cadet d’un an. En 2005, Kubica gagne son premier titre en monoplace en Formule Renault 3.5, lui permettant de se faire remarquer dans le paddock de Formule 1.

Robert Kubica était pilote de réserve de BMW Sauber au GP des États-Unis 2006. (Crédit : jwunrow / Flickr, CC BY 2.0)

C’est dans ce contexte que Renault puis BMW le repèrent. Le Polonais signera finalement un contrat avec l’écurie allemande en tant que troisième pilote. Il dispute sa première course en F1 en 2006 lors du Grand Prix de Hongrie en remplaçant Jacques Villeneuve, blessé.

Le natif de Cracovie séduit et, dès le lendemain, BMW annonce sa titularisation pour le reste de la saison. Dès sa troisième course, il monte sur son premier podium lors du Grand Prix d’Italie en finissant 3e.

Grand Prix du Canada 2007, la première frayeur de sa carrière

En arrivant à Montréal pour disputer le Grand Prix du Canada 2007, Robert Kubica reste sur une 4e place en Espagne et une 5e à Monaco. Le Polonais arrive en forme au circuit Gilles Villeneuve mais, lors de la course, il sera victime de l’un des accidents les plus impressionnants du XXIe siècle.

Au coeur du peloton dans le 27e tour, Kubica heurte la Toyota de Jarno Trulli et perd son aileron avant dans l’une des parties les plus rapides du circuit. Incapable de freiner, il traverse le gazon, sa voiture se soulève de l’avant, puis percute de plein fouet un mur de protection à environ 230 km/h. L’impact est colossal, évalué à une force de décélération de 75G, et sa voiture se désintègre avant de faire plusieurs tonneaux. Sa BMW Sauber traverse la piste devant d’autres monoplaces avant d’aller percuter le rail de sécurité. Le casque rouge du Polonais est secoué dans tous les sens, les spectateurs craignent le pire.

Miraculé, Kubica se sort de cet accident avec « seulement » un traumatisme crânien et une entorse à la cheville. Dans son casque, une photo du pape polonais Jean-Paul II. Est-ce une force surhumaine à l’origine de ce miracle ? Le principal intéressé ne semble pas y croire. Les spéculations naissent dans son pays sur ce fameux miracle. « En Pologne, il y a beaucoup de choses qui sont rapportées et qui ne sont pas vraies… Je ne sais pas par qui j’ai été sauvé… Je pense que c’est très positif que je sois là en un seul morceau », expliquait-il à l’époque.

Un retour au plus haut niveau ponctué d’une victoire

Remplacé lors du GP des États-Unis par Sebastian Vettel, il fait son retour sur les circuits dès le Grand Prix de France 2007. Il ajoute de bons résultats à son escarcelle sur la fin d’année avant de se révéler lors de la saison 2008.

Après un abandon en Australie, il signe trois podiums et deux 4e place en cinq courses. Kubica est le dauphin de Lewis Hamilton au championnat avant de se rendre sur les lieux de son accident de l’année passée. Durant ce Grand Prix du Canada 2008, le sort bascule de son côté et il profite d’un accrochage dans les stands entre Hamilton et Räikkönen pour prendre la tête de la course. Robert Kubica décroche sa première victoire en F1, la première pour un Polonais. Une belle revanche prise face au circuit Gilles Villeneuve.

Grâce à cette victoire, Kubica s’empare de la tête du championnat. Il ne conservera cet avantage qu’une course avant de dégringoler au classement. Le Polonais termine finalement 4e du championnat, ce qui restera son meilleur résultat au championnat des pilotes de Formule 1. 

En 2009, il vit sa pire saison en Formule 1 et quitte BMW, qui a annoncé se retirer de la Formule 1 à la fin de l’année. Il rejoint Renault pour la saison 2010 et réalise une plutôt bonne saison en finissant 8e du championnat et en inscrivant 5 fois plus de points que son coéquipier. Il entame la saison 2011 de la meilleure des manières avec le chrono de référence des essais hivernaux au volant de la Renault R31. Mais sa vie basculera le 6 février 2011

Une carrière brisée par un dramatique accident de rallye

Parallèlement à la Formule 1, Robert Kubica s’essaye au rallye. Mais pour le Polonais, ce n’est pas seulement pour l’amusement qu’il passe des circuits aux routes. « Je cherchais quelque chose ailleurs qu’en F1 qui ferait de moi un meilleur pilote de F1. J’essayais d’apprendre des choses que les autres pilotes n’ont pas », avouait-il dans un podcast officiel de la F1 en 2018.

Sa première participation à un rallye est plutôt positive lors du Rallye du Var en novembre 2010. Mais le 6 février 2011, durant la première spéciale de la Ronde di Andora, tout va s’écrouler.

Au volant d’une Škoda Fabia S2000, Robert Kubica perd le contrôle de sa voiture, qui quitte la route à grande vitesse avant de percuter une glissière de sécurité. Le pilote polonais reste coincé dans l’habitacle plus d’une heure avant d’être extrait par les secours. Héliporté à l’hôpital le plus proche, il a subi une amputation partielle de l’avant-bras droit, des fractures ouvertes au coude, à l’épaule et à la jambe droite. Rien que ça. 

Lors de l’accident, la glissière de sécurité est rentrée dans l’habitacle de la voiture et a touché le Polonais, expliquant les blessures du pilote, tandis que son copilote est resté indemne. Robert Kubica a enduré une première longue opération de sept heures, suivie de deux opérations réalisées quelques jours plus tard.

« Honnêtement, je ne me souviens que très peu de ce qui s’est passé, car je suis resté longtemps dans le coma », avait déclaré le récent vainqueur des 24 Heures du Mans. « Je suis arrivé à l’hôpital avec un litre et demi de sang, alors qu’un corps humain en a six ou sept. Le côté droit de mon corps était complètement détruit. J’avais 42 fractures et, de l’orteil au coude, tout était cassé. »

« Pendant six ou sept mois, j’ai perdu toute sensation et je ne bougeais plus rien. J’essayais de bouger mon doigt, mais j’y arrivais et c’était un sentiment que seuls ceux qui l’ont vécu peuvent comprendre. Le jour où j’ai réussi, j’ai ressenti une joie absurde. »

Kubica sort de l’hôpital le 19 avril 2011, soit deux mois après son accident, mais ses blessures sont trop importantes pour envisager un retour à la compétition. Gérard Lopez, alors propriétaire de l’écurie Renault, annonce que le Polonais ne remontera pas dans la monoplace française cette saison.

Un rêve rouge qui s’envole…

Si cet accident a mis un terme à l’aventure de Kubica chez Renault, il a aussi annulé un contrat avec la fameuse Scuderia Ferrari qui devait débuter en 2012. Pour tout pilote, c’est un rêve de porter la combinaison rouge. Robert Kubica n’y a pas échappé. « Ferrari est mon plus grand regret », a-t-il avoué en 2018.

« J’aurais dû m’installer à Maranello en 2012, mais aussi bien plus tôt, et tout le monde ne le sait pas. Dans le monde dans lequel nous vivons, il est plus facile de laisser passer les choses, mais à cause de l’accident, je suis passé d’un extrême à l’autre. »

« Ce que j’ai vécu n’a pas seulement affecté l’aspect sportif, mais aussi ma vie quotidienne. C’était un coup dur, qui a duré de nombreuses années. Je ne me souviens même plus de la façon dont je conduisais auparavant. Ce n’est pas grave, c’est la vie et c’est comme ça que ça s’est passé. »

Se relevant de cette épreuve, le Polonais est revenu à la compétition en septembre 2012, remportant un petit rallye en Italie. En 2013, il court pour Citroën où il devient champion de WRC2 avec cinq victoires à son actif. Il dispute ensuite le championnat du monde des rallyes à temps plein en 2014.

… celui de retrouver les circuits qui renaît

Après être revenu en rallye, Robert Kubica s’attaque à un nouveau monde : l’endurance. Ce passage en endurance lui permet de retrouver les circuits en 2016. En meilleure forme physique, il est invité par Renault F1 et Williams a disputé des tests privés en 2017.

Il est finalement nommé pilote de réserve de Williams F1 Team en soutien de Lance Stroll et Sergey Sirotkin pour la saison 2018. Le 22 novembre 2018, Williams officialise sa titularisation pour la saison 2019 au côté du futur rookie George Russell. 

Robert Kubica dans la Williams FW42 lors du GP de Hongrie 2019. (Crédit : Michał Obrochta)

Neuf ans après sa dernière saison chez Renault, Robert Kubica retrouve les joies d’être pilote de Formule 1. Le Polonais ne devance qu’une seule fois son jeune coéquipier : au Grand Prix d’Allemagne 2019, où, 10e, Kubica inscrit le seul et unique point de Williams lors de cette saison.

Pour les saisons 2020 et 2021, il remplit le rôle de pilote de réserve et de développement chez Alfa Romeo. En 2021, il dispute deux courses en remplacement de Kimi Räikkönen, positif au Covid-19. Les Grand Prix des Pays-Bas et d’Italie 2021 seront les deux dernières courses de Robert Kubica en Formule 1.

L’épanouissement en endurance

C’est en 2021 que Robert Kubica se lance réellement dans les courses d’endurance. Au volant d’une LMP2 du Team WRT, il remporte dès sa première saison le titre en European Le Mans Series avec trois victoires en six manches. Il dispute également ses premières 24 Heures du Mans et se dirige tout droit vers la victoire de catégorie mais, dans le dernier tour, son LMP2 connaît un problème technique et ne peut franchir la ligne d’arrivée.

En 2022, il s’engage avec le team Prema, toujours en LMP2, pour sa première saison complète en WEC. Il termine les 24 Heures du Mans à la 2e position de sa catégorie. Nouveau changement d’équipe en 2023. Kubica retrouve la structure du Team WRT et remporte le championnat du monde d’endurance en LMP2 avec trois victoires. Aux 24 Heures du Mans 2023, il décroche une nouvelle 2e position.

Robert Kubica au volant de l’Oreca 07 #14 / AO by TF lors de la saison 2024 de l’ELMS. (Crédit : Victor Andrès)

C’est en 2024 que Robert Kubica fait le grand pas. Il rejoint l’équipe AF Corse, structure privée de Ferrari en Hypercar, et remporte une belle victoire lors du Petit Le Mans, sur le Circuit des Amériques à Austin. Dans le même temps, il dispute sa deuxième saison d’ELMS : deuxième titre de champion en LMP2 avec AO by TF.

La consécration aux 24 Heures du Mans 2025

Cette carrière et cette vie atypique, pleine de rebondissements et surtout inspirante, nous amènent à ce dimanche 15 juin 2025. La Ferrari AF Corse #83 de Philip Hanson, Yifei Ye, et donc Robert Kubica, s’élance en 13e position de la 93e édition des 24 Heures du Mans

Au cours de la course, le Polonais de 40 ans n’a pas chômé : il a piloté sur une durée totale de 10h17, soit 43% de la course, dont 3h33 dans un final à haute tension. Kubica a également fait preuve d’autorité en refusant de se laisser faire face aux Ferrari officielles.

Robert Kubica est le premier Polonais à remporter les 24 Heures du Mans. (Crédit : Julien Delfosse / DPPI)

À de nombreuses reprises, il reçoit des messages assez clairs de la part du clan italien : les Ferrari rouges ont la priorité sur la jaune. Mais contrairement à ses coéquipiers quelques heures plus tôt, Kubica ne l’entend pas de cette manière.

Le Polonais roule vers son destin, celui de gagner avec une Ferrari. Et quel symbole pour le natif de Cracovie : il remporte les 24 Heures du Mans avec la marque au cheval cabré, voiture qu’il aurait dû piloter en Formule 1 treize ans plus tôt.

Un pilote atypique, respecté de tous

Quand le nom de Robert Kubica est évoqué, il ressort souvent le mythe du meilleur pilote de sa génération. Est-il réel, ou est-il juste le fruit de l’imaginaire collectif ? Les mieux placés pour en parler sont les pilotes ayant côtoyé le talentueux Polonais. 

En 2019, Lewis Hamilton, alors cinq fois champion du monde, décrivait Robert Kubica comme l’un des meilleurs. « Robert est l’un des pilotes les plus rapides contre lesquels j’ai couru. S’il courait toujours aujourd’hui, il serait en lutte pour un titre mondial, il en aurait peut-être déjà gagné un. » 

D’autres champions, comme Fernando Alonso notamment, n’ont pas caché leur admiration face au talent et à la détermination de Kubica. L’Espagnol et le Polonais auraient d’ailleurs pu (ou dû) se côtoyer chez Ferrari à partir de la saison 2012. Et Kubica aurait pu aller chercher ce que Fernando Alonso n’a jamais réussi à atteindre : gagner un titre de champion du monde en étant vêtu de rouge.

Robert Kubica (BMW Sauber) et Fernando Alonso (McLaren) au GP de Hongrie 2007. (Crédit : Davenport / xpb.cc)

Sur la ligne d’arrivée de ces 24 Heures du Mans 2025, il aurait pu prendre la lumière, attirer les regards des 332 000 spectateurs présents dans les tribunes. Mais au lieu de ça, il a patiemment attendu ses deux coéquipiers pour célébrer une victoire d’équipe.

Robert Kubica, c’est aussi ça. Un homme et un pilote discret, combattif, résilient. Pour des milliers de jeunes Polonais, c’est une véritable source d’inspiration, un message d’espoir : quoiqu’il arrive, il ne faut jamais rien lâcher.

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